Un Espace Naturel Sensible (ENS) est un site remarquable, d’intérêt collectif et patrimonial, reconnu pour ses qualités écologiques, géologiques ou paysagères. Sur le département de la Drôme, 30 sites sont répertoriés ENS, et 14 dans les Hautes-Alpes. Sur sa partie drômoise, le Parc naturel régional des Baronnies provençales regroupe cinq ENS : Montrond, Le Serre de l’Âne, Villeperdrix, Dieulefit, et enfin Les Perdigons et les Gleizes, à Châteauneuf-de-Bordette. Ce dernier est le théâtre d’une histoire profondément marquée par l’activité humaine, imprégnée d’un certain savoir-faire, et pimenté d’une bonne dose de solidarité. L’ENS des Perdigons est devenu le symbole d’un engagement absolu de la part des habitants et des élus qui le portent. Rencontre avec Philippe Cahn, un maire soucieux de la vie de son village, et un observateur des enjeux écologiques et paysagers.
Tout commence en 1998, lorsque cinquante propriétaires de Châteauneuf-de-Bordette se regroupent pour créer une association foncière pastorale (AFP). Condition sine-qua-non pour que l’association soit créée, il avait alors été décidé qu’un minimum de 80% des propriétaires du village jouent le jeu pour que le projet prenne vie[1]. Dans ce village de 102 habitants, qui en comptait moins de 50 dans les années 1970, l’AFP a été le révélateur du dynamisme retrouvé. D’un projet à l’autre il n’y a qu’un pas : c’est l’AFP, par son étendue spatiale, qui a permis de créer en 2004 l’Espace Naturel Sensible des Perdigons, financé par le Conseil Départemental. L’ENS est également inclus au sein d’un site Natura 2000.
Témoins d’une lointaine occupation agricole, d’anciennes ruines surplombent le village, et les terrasses en contrebas sont le terrain de chantiers de restaurations en pierre sèche. Un peu plus bas, là où une réserve d’eau permet l’activité agricole, un couple d’éleveurs vient de s’installer, bénéficiant d’une location facilitée des terres grâce à l’AFP. Les deux éleveurs- bergers s’apprêtent à mener le troupeau sur les 80 hectares de l’ENS, pour nourrir leurs chèvres et leurs brebis. Le troupeau permettra d’entretenir le paysage sans trop d’activité humaine ou fossile, favorisant ainsi des milieux ouverts. L’installation, symbolique sur bien des points, des deux jeunes agriculteurs permet aussi de souligner qu’un site préservé n’est pas incompatible avec une pratique agricole, au contraire. Philippe Cahn se remémore avec amusement de la coïncidence de l’arrivée d’un éleveur ovin sur l’ENS en 1997 avec l’arrivée d’un couple de vautours Percnoptères en 2000. Son troupeau présent uniquement en février se composait de près de 800 bêtes une fois l’agnelage passé.
Les avantages de la présence de troupeaux dans nos paysages méditerranéens sont nombreux, et la biodiversité aujourd’hui présente sur l’ENS des Perdigons en témoigne. Si les vautours fauves ont désormais investi les falaises, une faune diverse fréquente désormais les pelouses ponctuées de haies et de bosquets. Autre particularité de l’ENS des Perdigons, une châtaigneraie remarquable aux arbres majestueux jalonnent le sentier de découverte. Le bois mort permet d’accueillir un patrimoine naturel notable : insectes et oiseaux y prolifèrent volontiers. Quant aux reptiles et aux amphibiens, ils peuvent être observés sans difficulté à Chateauneuf de Bordette. De petites mares ont été aménagés afin de faire revenir le très menacé Sonneur à ventre jaune. Ce dernier se réfugie dans des points d’eau temporaires pour ne pas être en concurrence avec d’autres espèces. Car n’oublions pas qu’un ENS a aussi vocation à accueillir des promeneurs. Un volet pédagogique permet de donner quelques pistes de compréhension du milieu le long de cette balade de quatre kilomètres, dans un décor à couper le souffle, surplombant les oliveraies d’Aubres et le vallon de la Bordette. Sans pour autant être voué à accueillir un public trop nombreux (on connaît trop les effets pervers de la surfréquentation dans nos régions), la vocation d’un ENS permet de trouver un équilibre intéressant entre la préservation de la nature, et une découverte de ce qu’elle nous offre dans ce qu’elle a de plus précieux et magique. Ainsi, le Parc naturel régional des Baronnies provençales qui partage les actions qui y sont menées avec le CEN Rhône-Alpes, travaille à l’entretien ou à l’installation de panneaux explicatifs. Un autre axe de travail d’ordre patrimonial permet au Parc d’organiser des chantiers participatifs autour de la pierre sèche toute l’année. Ces temps sont une manière de former à cette pratique ancestrale, mais aussi de sensibiliser à la biodiversité qu’elle peut héberger. Parfois même, les Perdigons accueillent des évènements en leur sein, le volet préservation ne freinant pas pour autant les actions culturelles. C’est ainsi qu’un Concert de Poche avait pu être proposé en 2019 pour les enfants de Mirabel aux Baronnies qui, en amont, avaient accueilli des musiciens lors d’ateliers de création d’instruments de musique à l’école. Ils avaient pu poursuivre le projet par un concert de chants d’oiseaux sur le site des Perdigons. Cet évènement avait pu avoir lieu grâce au volet pédagogique et artistique mené depuis toujours par le Parc des Baronnies provençales, qui avait financé les interventions des animateurs nature venus sensibiliser les enfants pour l’occasion. Parce que l’ENS est définitivement un espace ouvert dans tous les sens du terme, le site s’avère un terrain infini d’apprentissage. Les étudiants de la MFR de Richerenches sont régulièrement accueillis pour des séances de travail, accompagnés d’experts qui les sensibilisent au génie écologique de l’ENS, dans le souci de transmettre les techniques de gestion d’un espace naturel sans objectif de rentabilité économique.
Les approches d’un Espace Naturel Sensible sont multiples et génèrent incontestablement une activité humaine, mais pas uniquement. Autant d’avantages en direction du vivant, de la biodiversité et du développement durable qui invitent à être toujours plus à l’écoute de l’environnement pour mettre en valeur ses spécificités, et tout ce qui participe à rendre notre territoire unique.
[1] Les adhérents à l’AFP s’engagent à mettre en commun leurs terres. En l’échange, l’AFP assure leur mise en valeur et leur gestion par l’élevage pastoral, en les mettant à disposition d’un éleveur ou d’un groupement pastoral.