La récolte des olives est une période très attendue par les oléiculteurs. Ce qui fut longtemps une récolte aux allures familiale et où la convivialité était de mise, reste une période de travail rude qu’il faut aimer sans condition pour garder la notion de plaisir dans le mistral glaçant de l’hiver. En cette période, les journées de travail peuvent commencer par des températures avoisinant les -10°C le matin, pour atteindre les 20°C quand le redoux revient. Les branches des arbres multicentenaires qu’il faut peigner accrochent les mains, et il faut rester agile des racines à la cime de l’arbre. Rencontre avec les professionnels de la branche, donc, ceux qui malgré les aléas, savent braver les hivers pour produire une huile toujours dorée.
A Villeperdrix, Florent et Adrien ont pris les rênes de la ferme familiale il y a quatre ans reprenant les murs et les champs que les aïeuls exploitaient depuis le XVIIème siècle. Des plantes aromatiques pour lesquelles ils ont reçu la marque Valeurs Parc, en passant par le maraîchage, leur pratique agricole passe également par l’oléiculture. C’est en reprenant la ferme qu’ils ont appris à dompter la récolte des olives, même si Adrien venait déjà passer du temps dans les oliveraies avec ses parents ou ses grands-parents quand il était petit. A l’époque faire la récolte permettait à la famille de se réunir, et les oncles et tantes, les cousins et cousines venaient de loin pour donner un coup de main bienvenu. Aujourd’hui, cette image de la récolte se fait de plus en plus rare, et la pratique familiale est devenue très réglementée. Aider ses enfants dans la reprise de l’activité n’est plus si naturel que cela pouvait l’être il y a quelques décennies. Passer le relais d’une exploitation agricole à ses enfants signifie que s’ils en deviennent les gérants, ils devront se débrouiller seuls, sauf si les parents ont un contrat d’aide familial qui leur permettra de transmettre leur savoir pendant trois ans. On passe parfois outre cette règle, quand l’appel de l’olive sur la branche est trop forte, que le geste est tellement ancré en soi qu’il faut, quoi qu’il en coûte, mettre la main à la pâte, étendre les filets sous les arbres, passer une perche ou un peigne dans les branches, secouer l’olivier généreux et s’accroupir finalement sous l’arbre, pour rassembler les filets et déverser la récolte dans les caisses qui partiront au moulin. Ce geste, répété depuis plus de 2000 ans dans la région fait la fierté du pays et participe pleinement à dessiner l’identité et la typicité du terroir, dans ce qu’il a de plus emblématique. Florent et Adrien se débrouillent donc, et quand les bras manquent, ils emploient, la saison venue, des ouvriers agricoles. Cette année ils accueillent quatre salariés : les uns ont l’habitude des olivades, les autres découvrent les gestes, s’offrant l’opportunité d’appréhender une pratique ancestrale parce qu’un nouveau départ professionnel l’impose. Un retour ou un détour par la terre aide souvent à retrouver le goût des choses simples. L’occasion de constater que dans ce village où se côtoient quatre oléiculteurs, et quelques familles jouissant de quelques arbres le prêt de matériel d’une ferme à l’autre permet de retrouver un tant soit peu de convivialité. En cette période de doute, trouver du sens dans les actes symboliques s’avère essentiel. Depuis la mi-décembre, « on vibre » donc au rythme de la récolte à Villeperdrix, au milieu des arbres multicentenaires marqués par le gel de 56, dans cette partie du territoire située à la frontière Nord de l’aire d’appellation d’origine protégée, la fameuse AOP de Nyons.
Si la période des fêtes semble propice à la convivialité en famille, elle met souvent en exergue les solitudes subies et « saisonnier » rime parfois aussi avec le fait d’être « isolé »… Le travailleur nomade , qui a fait le choix de vivre au grès des saisons et des cultures, dans son camion, ou hébergé chez l’habitant, passera peut-être les fêtes avec sa famille, sinon avec ses amis de récolte. Au fil des années, à force de revenir chez les mêmes « patrons », le lien qui se noue entre les ouvriers agricoles et les oléiculteurs peut être fort et s’apparenter à une affinité d’ordre familiale. La confiance mutuelle qui s’installe, la transmission des gestes et l’amour du terroir participent vivement à ce sentiment partagé. Et puis se retrouver d’année en année, tel un rituel bien huilé, reste une motivation suffisante pour faire perdurer la tradition. Les liens qui se tissent sous les arbres centenaires permettent souvent aux saisonniers de se sentir ici chez eux, retrouvant au pieds des oliviers l’énergie qui leur permettra de trouver la force pour travailler au fil des saisons, sans relâche.
A Chateauneuf-de-Bordette, chez la famille Tourre, les saisonniers sont tous des habitués. Sur les dix cueilleurs présents cette année, aucun ne vient pour la première fois, pas besoin de montrer son CV pour entrer dans le clan, les Tourre ont choisi de fonctionner au bouche à oreille. Les raisons du succès de la récolte sont simples : ici l’accueil est hors norme, et les méthodes de travail en biodynamie choisies depuis 2008 sont clairement une philosophie partagée par tous autour des arbres réunis. Rolland et Véronique ont depuis longtemps opté pour des méthodes douces, point de mécanisation ou de récolte au panier. La concurrence n’est pas de bon ton ici, il faut faire ensemble, dans un esprit de partage et de transmission. Alors, les échelles de bois s’attroupent autour des grands oliviers telle une danse bien chorégraphiée. On s’assure que la pose est stable, puis chacun grimpe, tel un acrobate, à la cime de l’arbre, dans une fabuleuse harmonie. Avec de petits peignes, les branches sont coiffées et soulagées une à une de leurs olives fripées. De loin, on pourrait ne distinguer qu’un simple murmure. Mais en s’approchant près de la sève, on constate que les conversations vont bon train, tel un essaim butinant. Pendant que l’étudiant parle de sa recherche sur l’anthropocène, l’autre y va de ses blagues sur les hommes politiques, et puis de temps à autres, tous théorisent sur la crise sanitaire bien-sûr, le sujet incontournable du moment. Sous les autres oliviers, Joseph Tourre, le fils qui reprend l’activité familiale, s’affère à placer les filets avec Cyrian, le voisin ouvrier agricole qui aide la famille toute l’année. Soudain arrive Véronique à coups de klaxon qui annonce l’heure du repas, un plat de lasagnes bien chaudes que Catherine, la cuisinière embauchée pour la saison et venue du Jura, a préparé le matin à la ferme. Les échelles se vident des silhouettes funambules en un temps record. Le groupe se retrouve en haut de l’oliveraie, dans un cercle de caisses qui sert de tables ou de chaises selon l’humeur. Alors Véronique y va à coups de cuillères généreusement remplies pour servir chacun des cueilleurs. Ce moment de convivialité réconfortant révèle certainement la recette du bonheur, et les secrets d’une récolte réussie.
Après la récolte des olives, une fois la danse des échelles terminées ? Un peu de tranquillité sera la bienvenue pour les saisonniers courageux, lors du repos des terres, lorsqu’au mois de février les hommes se remettent d’une année de récolte. A moins que les ouvriers décident d’aller tailler la vigne un peu plus loin, car elle est encore de mise en cette période. Puis reviendra vite le printemps, les plantations de lavande, et le retour du soleil mordant sous lequel il faudra récolter les fruits chauds et juteux, pour terminer, comme toujours par les fameuses vendanges, du moins là où l’on récolte encore à la main.