Depuis quelques mois, les banques alimentaires ne désemplissent pas. L’accès à l’alimentation est une problématique qui touche un nombre croissant de bénéficiaires[1]. Souvent issus de l’industrie agroalimentaire qui profite de cette manne pour liquider sa surproduction et se débarrasser de ses déchets de manière défiscalisée, les produits proposés dans les associations pourraient pourtant provenir de réseaux plus locaux et éthiques, avec des produits de meilleure qualité. Des initiatives naissent ici et là pour un accès à une alimentation saine pour tous, et la voie vers une Sécurité Sociale Alimentaire s’ouvre doucement. Le Parc naturel régional des Baronnies provençales travaille activement à rendre visibles les actions et participe à sensibiliser sur cette thématique qui peut toucher chacun à son niveau. Sujet transversal, l’alimentation permet de penser un système économique local, agricole, écologique, et social.
À Dieulefit est née une expérimentation atypique qui fait parler d’elle depuis un an. Le marché du lavoir, créé par Camille Perrin, conseillère municipale déléguée à la résilience alimentaire, et Mathieu Yon, maraîcher à Dieulefit, permet aux clients de se ravitailler selon leurs moyens. Les produits locaux et de qualité sont proposés à un tarif qui varie d’un client à l’autre selon trois critères : accessible, juste ou solidaire. Chaque client choisit, sans devoir justifier de ses possibilités financières au moment de passer à la caisse. Avant de se servir, le client doit simplement prendre une bille bleue, blanche ou rouge, qui correspond à ses ressources. Aucun mot au sujet du niveau de vie de chacun n’est donc évoqué, la discrétion fait loi, et la confiance mutuelle aussi. À la fin du marché, les comptes s’équilibrent entre ceux qui ont pu proposer une démarche solidaire (en payant 125 % du prix juste producteur) et ceux qui ne peuvent financer qu’un tarif accessible (65 % du prix producteur). Au moment de faire les comptes, les producteurs se basent sur le prix juste (100 % producteur) et la somme excédente, si elle existe, part dans une caisse commune partagée entre les trois producteurs du marché. Ainsi, s’il y a eu plus d’achats au prix accessible, les producteurs récupèrent dans la caisse la somme nécessaire pour obtenir leur juste rémunération.
Mathieu Yon est un jeune producteur de 35 ans très engagé et investi, qui ne manque pas d’idées. Installé à Dieulefit il y a un peu plus d’un an, il avait entamé un projet d’installation près de Montpellier. Sa première expérience, si elle était rémunératrice, ne le satisfaisait pourtant pas, car il avait fait le constat que ses produits ne s’adressaient qu’à une classe élevée. En reprenant tout à zéro, il a souhaité proposer une alternative qui puisse nourrir tout le monde. En souriant, il déclare : « L’agriculture faite par les producteurs riches vend aux pauvres, l’agriculture faite par les producteurs pauvres vend aux riches… ». Et c’est ce paradigme inconcevable selon lui, qu’il a voulu modifier à travers ce projet.
Camille Perrin, elle, est plutôt du genre à déplacer des montagnes ! Cette jeune élue sortie de polytechnique consacre toute son énergie à faire de Dieulefit la ville de demain, en travaillant sur les questions d’alimentation et de justice sociale avec l’équipe citoyenne fraîchement aux manettes. Très au fait des recherches menées en ce domaine, elle apporte un vent nouveau et pas mal d’idées. La Sécurité sociale de l’alimentation est un sujet qui lui tient particulièrement à cœur, et ses ressources[2] sont nombreuses pour sensibiliser les habitants. Parvenant à fédérer, rapidement, elle a mis en place un groupe de travail qui se réunit chaque mois et a déjà rendu le projet de marché solidaire possible sur d’autres territoires, en créant notamment un cahier des charges, et le projet d’une caisse alimentaire commune entre les producteurs vendant sur les différents marchés. Se formant au fil de l’eau avec l’association Les Greniers d’abondance, elle a pu travailler avec Noé Guiraud, un chercheur-géographe qui pendant une année a mené des entretiens avec les habitants de Dieulefit dans le but de faire émerger un récit territorial de la résilience alimentaire[3]. Ensemble, ils ont également conçu des outils participatifs, proposé des débats, et ont déssiné une cartographie des habitudes de consommation. Si Camille poursuit les projets telle qu’elle les rêve, les rencontres avec les habitants pourraient vite prendre les contours d’un conseil citoyen de l’alimentation, sur le même principe que le conseil citoyen du climat.
Le marché du lavoir, mis en place l’été dernier, a trouvé un point de vente qui vise la mixité sociale. Sur un ancien lavoir, entre ville et campagne, au pied des logements sociaux tout neufs, environ 70 clients de tous horizons socioculturels et géographiques, viennent chaque semaine remplir leur caddie. Martine, une bénévole, est présente pour expliquer la démarche et donner quelques chiffres repères qui permettront à chacun de contribuer selon ses moyens en toute conscience ; Mathieu s’active à remettre en ordre l’étal et papote volontiers lors de cette journée qui constitue son seul point de vente hebdomadaire. Quant à Anne-Laure, elle a rejoint l’aventure au mois de mai, s’imposant probablement comme la seule éleveuse de la région à proposer des fromages de chèvre à un euro pièce que tous les gourmands s’empresseront de déguster sur le pain du Fournil des Comètes également présent pour jouer le jeu avec les copains[4]. Camille, première cliente au rendez-vous, repart nécessairement le caddie débordant de légumes frais pour son foyer et pour les autres habitants d’Ecoravie, l’habitat partagé qui lui a donné l’envie de s’installer à Dieulefit il y a 8 ans.
À l’image de cette dynamique qui se construit solidement aux portes du Parc naturel régional des Baronnies provençales, tout un programme se déroule ailleurs sur le territoire. De nombreux événements et rencontres ont été organisés depuis le printemps 2022 et se poursuivront toute l’année pour sensibiliser à la vaste, mais essentielle question de l’alimentation.
[1] 9 millions de personnes bénéficient de l’aide alimentaire
[2] Vers la résilience alimentaire, Faire face aux menaces globales à l’échelle des territoires, Les Greniers d’abondance / La sociale de Gilles Perret / Encore des patates !? Pour une sécurité sociale de l’alimentation, Les Greniers d’abondance
[3] Les podcasts issus de ces entretiens seront prochainement en ligne sur RadioLa
[4] Le mot copain s’emploie à l’origine pour qualifier la personne avec qui l’on partage le pain.