Natura 2000, dont de nombreuses actions sont portées par le Parc naturel régional des Baronnies provençales depuis 2015 a vu son périmètre s’élargir en janvier 2024 au-delà de ses limites géographiques et historiques. Rémi Abel-Coindoz, chargé de projet Natura 2000, partage depuis cette année ses missions entre les Baronnies provençales et une partie du Diois. La biodiversité et les milieux à protéger ne connaissant pas de frontières, il est incontournable, scientifiquement, de prendre en considération celle des territoires limitrophes pour mieux en comprendre les enjeux. Ainsi, on a pu constater que le département de la Drôme abrite la plus grande diversité d’espèces de chauves-souris en France avec vingt-neuf espèces recensées à ce jour. Parmi elles, on trouve des espèces répandues comme la Pipistrelle Commune (Pipistrellus pipistrellus) et d’autres plus rares, comme le Petit Rhinolophe (Rhinolophus hipposideros). Bien que plus ou moins rares, toutes les espèces de chauves-souris sont pour autant menacées et protégées en France. Une étude menée en 2010 et mise à jour en 2018 par la Ligue pour la Protection des Oiseaux avait révélé la présence remarquable de cette espèce, et, grâce à de nouveaux crédits d’animation régionaux, c’est aujourd’hui à Aucelon où vingt espèces cohabitent, que Rémi se rend avec un expert des chauves-souris, Rudi Kaincz, pour tenter de mieux les connaître encore.
Les légendes sont nombreuses autour de cet animal nocturne aux allures menaçantes et aux cris stridents : hématophages, porteuses de la rage, incarnation du diable dans de nombreuses représentations artistiques, les croyances se sont multipliées au fil des siècles, mettant de côté toute connaissance scientifique approfondie… Avec ce bagage encombrant, il s’avère nécessaire de réaliser un travail de démocratisation de l’espèce auprès du grand public, et plus encore, de faire savoir aux habitants des territoires ruraux que leurs ruines, leurs greniers, leurs forêts ou leurs jardins peuvent être le gîte d’espèces protégées qu’il est essentiel de préserver.
Depuis plusieurs jours, Rémi s’adonne donc à du porte-à-porte avec Rudi, et ensemble, ils font un travail d’observation des gîtes les plus convoités ainsi qu’un inventaire chez les quelques habitants que compte Aucelon. « Les gens sont contents de savoir qu’ils ont la plus grande colonie du village ! » déclare Rémi qui ajoute : « Il est primordial d’être en lien avec les habitants, nous leur expliquons ce que Natura 2000 peut apporter (les aides financières par exemple, grâce à des contrats passés avec eux), et ils sont aussi une source d’information à considérer. C’est cet échange qui fait la richesse de ce métier, les habitants sont une des portes d’entrée vers la connaissance même s’il faut vérifier et mesurer chaque information fournie ». Ce jour-là, un jeune aucelonnais leur indique qu’une grotte facilement accessible abrite de nombreuses chauves-souris. En vérifiant, le site avait déjà été répertorié en 2010. La tentation est trop grande pour ne pas s’y rendre, et les deux naturalistes entament une descente sur le site.
Lampe frontale allumée, ils pénètrent doucement et silencieusement dans l’entrée de la grotte. Un premier individu tournoie autour d’eux, tandis qu’un autre les nargue paisiblement à l’entrée de la grotte en tournicotant sur lui-même pour capter les ondes de leur présence. Rudi dégaine son appareil à ultra-sons et tente de capter de nouvelles données qui peinent à venir : « Grâce aux nouvelles technologies, la chiroptérologie est une science nouvelle où il reste beaucoup d’avancées à faire, une chance pour de jeunes professionnels de terrain comme moi. » S’enfonçant plus en profondeur dans le site, la récolte ne sera pas aussi fructueuse qu’escomptée. Les conclusions scientifiques ne se feront pas si hâtives, et il leur faudra revenir en hiver pour croiser les données, le petit rhinolophe préférant ce type d’abris tempéré en cette saison pour hiberner au calme. Plus tard dans la journée, ils se rendront sur une ruine surplombant le village, une ancienne ferme isolée. Dans une grange, un individu sera repéré lors d’une sieste diurne. La présence de guanos dans une autre partie de la ferme laisse supposer que des individus viennent régulièrement s’y abriter, même si la présence d’un loir peu farouche présage d’une cohabitation difficile entre les deux espèces.
Autour d’Aucelon, les espaces boisés à étages variables (buissons, sous-bois, grands arbres…) ne sont pas à négliger quant aux corrélations avec la présence des chiroptères qui apprécient la diversité des paysages. Riche en vieux arbres (la forêt de Beaufay est sous contrat avec Natura 2000 : en échange de la non-exploitation du bois, le propriétaire est rémunéré), ce paysage de bois mort et de hêtres aux diamètres imposants permet notamment à de nombreux pics épeiches de creuser des cavités qu’ils forgent pour la nidification et servent ensuite d’abris tout trouvés pour les chauves-souris.
Le Parc, qui travaille depuis longtemps à la protection du patrimoine nocturne, notamment en encourageant les villes et villages à limiter la pollution lumineuse, continue, par ses actions et projets, à rendre la biodiversité et la vie nocturne favorable à de nombreuses espèces.