Ils aiment la nature, la faune, la flore et les paysages de la Drôme provençale. Par leurs pratiques respectives, ils côtoient la biodiversité, parfois des espèces rares, parfois des espèces plus répandues. Pour autant, leurs intérêts divergent. Les uns grimpent les falaises et installent de nouvelles voies d’escalade, pendant que les autres observent ces lieux remplis de vie et s’assurent que la biodiversité s’épanouit sans encombre. Pour permettre un dialogue entre grimpeurs et naturalistes, et dans le but que les espaces naturels et les pratiques sportives soient respectées sans conflit d’usage, le Parc naturel régional des Baronnies provençales organise des temps de dialogue et d’observation des falaises. Des rencontres nécessaires pour que chacun découvre, comprenne et assimile les enjeux.
Le club Silex est gestionnaire de sites d’escalade. Parmi ses activités, il peut être amené à équiper des secteurs naturels de la Drôme. À l’invitation du Parc, quatre adhérents du club, passionnés de falaises, de roches, de blocs, et de hauteurs, sont venus à Eyroles en ce début du printemps, pour rencontrer Laurène Demange, chargée d’étude naturaliste à la Ligue de Protection des Oiseaux. La mission du groupe consiste à déployer un protocole d’observation des espèces rupestres. La première séance s’organise en deux temps d’une heure et trente minutes chacune, sur deux postes d’observation à la frontière entre Eyroles et Sahune. Ici, des voies d’escalade existent déjà, et le club a le projet d’en installer sur deux nouveaux secteurs. Mais avant de passer à l’action, de prendre en main les perforateurs qui permettront la pose des équipements, la prise en compte de la biodiversité sur le site est nécessaire.
Ainsi, durant cette matinée ensoleillée d’avril, on remarque une certaine activité des martinets à ventre blanc, des hirondelles de rochers et des martinets noirs, plus anecdotiquement quelques hirondelles de fenêtres font une apparition. Plus tard dans la matinée, les vautours entament une danse au-dessus de nos têtes, puis, un faucon crécerelle en chasse se fait facilement repérer grâce à son vol statique dit du « Saint-Esprit ». Les regards oscillent entre ciel et falaises, les jumelles balayent l’horizon, et les longues-vues se postent sur des points plus précis, les vires, où des fientes ont été repérées. Elles sont le signe d’une fréquentation régulière par les oiseaux, et donc de la présence d’un nid potentiel. En effet, les falaises sont des environnements remarquables qui remplissent une fonction primordiale pour la variété des espèces et la biodiversité. La Vallée du Rhône s’avérant être une zone particulièrement artificialisée, entre industrialisation massive et zone agricole intensive, rares sont les espaces protégés, comme cette zone du Parc, classée Natura 2000, et c’est en prenant un peu d’altitude que la présence de l’homme se fait moins visible. Face à ce phénomène, les falaises sont historiquement devenues des zones refuges, car elles s’avèrent moins fréquentées. Ces grandes parois rocheuses sont susceptibles d’attirer une multitude d’espèces pour de multiples raisons. Ces reliefs escarpés génèrent notamment des courants ascendants particulièrement précieux aux grands rapaces, leur permettant de s’élever et de planer sans effort. De plus ces lieux offrent un abri, une zone de nidification et un garde-manger idéal à une grande variété d’oiseaux. Une intrusion inopportune liée à tout type d’activité humaine, en particulier durant la période de reproduction, pourrait compromettre irrémédiablement la couvée. Et c’est bien ce que la naturaliste est venue s’assurer lors de ce temps de dialogue et d’observation avec les grimpeurs : elle cherche à savoir s’il y a une nidification en cours, un couple existant, ou même un petit. Pour certaines espèces sensibles au dérangement, équiper de nouvelles voies d’escalade serait à éviter. Elle viendrait perturber les habitats, nécessaires au maintien de ces espèces protégées sur ce territoire.
En fin de matinée, un milan noir fait son apparition, Laurène dégaine son téléphone portable et renseigne la présence de l’espèce sur l’application Naturalist, permettant son versement dans la base de données Faune-AuRA. Le moment proposé par le Parc est aussi un temps de découverte et de pédagogie : il permet aux grimpeurs de regarder la falaise sous un angle nouveau en apprenant à nommer ce qu’ils voient, et à la naturaliste d’entendre leurs envies. S’attachant à du vivant, les temps d’observation opérés dans ce cadre nécessitent un protocole répété pour saisir les enjeux environnementaux, et il n’est pas certain qu’ils seront suffisants pour qualifier la biodiversité du site. Viendra ensuite le temps de l’autorisation réglementaire, avec une évaluation des incidences qui s’appuiera sur les conclusions des séances d’observation qui auront lieu en ce printemps et les mentions historiques des espèces sur le secteur. À la lumière de ce qui aura pu être déterminé, le projet d’aménagement des voies pourra être considéré à tous points de vue, en s’assurant qu’il n’y aura aucun impact sur les oiseaux les plus vulnérables ou les plus rares.
Conscient des enjeux, et du dialogue nécessaire à créer entre toutes les instances et usagers des sites naturels, le Parc travaille à ce que chaque voix compte et soit entendue, et en l’occurrence, à ce que chaque voie compte et soit perçue sous toutes ses dimensions.