Considérée en danger de disparition par l’Unesco, l’occitan est une langue souvent réduite, dans l’esprit de beaucoup, aux traditions locales. Si elle est peu visible, elle reste parlée en France dans 39 départements. Discrets, les occitanophones partagent un trésor bel et bien vivant, s’imposant tel un outil favorisant la connaissance et la transmission d’une culture riche qui va puiser son histoire au fil des siècles et qui manifeste les caractères des territoires.
Depuis une quarantaine d’années, ils ont été nombreux à collecter contes, chansons, récits ou souvenirs. On dispose d’un « atlas sonore des Baronnies » réalisé au début des années 1990 sous la houlette de Roger Pasturel. Pendant une vingtaine d’années, Jean-Louis Ramel a recueilli et édité de nombreux témoignages sur la vie rurale de la première moitié du XXe siècle. Chaque année, à l’automne, le festival « Contes et rencontres » montre aussi que la promotion de l’occitan n’est pas exclusive et qu’elle peut aussi susciter de beaux moments de rencontres entre les cultures du monde.
Mais si l’occitan reste parlé majoritairement par les anciens, les jeunes ne sont pas sans ressources, c’est à la fois au passé, au présent et au futur que cette langue se conjugue sans fard.
En ce matin d‘hiver, à l’école maternelle de Sauve à Nyons, le soleil est au rendez-vous. Et Anne Giovanelli aussi. L’occitan fuse au fil des comptines qu’elle entonne, et les enfants de trois ans ne la quittent pas des yeux. L’intervenante partage généreusement à leur côté une belle énergie qui leur permettra pendant quelques heures de découvrir les sonorités et quelques mots de vocabulaire. Un bagage qui leur servira peut-être à voyager ici et ailleurs. Si l’objectif premier n’est pas de parler l’occitan, c’est une langue passerelle qui permet un premier pas vers l’apprentissage des langues étrangères car elle se laisse facilement comprendre : « On est devenu mauvais en langues parce qu’on ne parle plus les langues régionales » assure Anne Giovanelli.
Anne Giovanelli parle occitan depuis presque 20 ans. Son prédécesseur, Jean-Louis Ramel, avait commencé à introduire l’occitan dans les écoles en 1995. Anne a pris son relai il y a bientôt 10 ans. Ancienne directrice de l’école de Chamaret, elle a décidé de se dessiner un poste sur mesure et, en quelques années seulement, elle a réussi à imposer son style en créant un moment unique dans les classes des Baronnies provençales. Grâce à sa méthode, elle permet à des enfants a priori timides de se révéler là où on ne les attend pas. Anne ne manque pas d’idées pour les attirer dans son monde. Avec sa valise pleine de surprises chinées ici et là, lorsqu’elle plonge la main plonge dedans les enfants sont tenus en haleine pour découvrir ce qu’elle va bien pouvoir en sortir. « Lou loup ? La cabro ? Lou cat ? » Et en un tour de main, la comptine se transforme en loto des animaux ! Sans tomber dans le folklore qu’elle fuit volontiers, Anne aime que son atelier d’occitan devienne un spectacle dont ils deviennent acteurs et dont ils se souviennent. Avec des plus grands, Anne utilisera le drapeau et leur parlera de leurs équipes de foot préférées. De Buis-les-Baronnies à Saint-Ferréol-Trente-Pas en passant par Sahune ou Nyons, le territoire des Baronnies provençales est le terrain de jeu de l’intervenante. Dans toutes les écoles, les enfants la connaissent, jusqu’en Italie où elle a accompagné les élèves de primaire de Mollans-sur-Ouvèze lors de leur projet Erasmus en 2021. La rencontre avec les jeunes italiens s’est d’ailleurs clôturée par une farandole fièrement menée par les petits mollanais.
« C’est une langue portée par la terre et qui vient des tripes » lance Anne. Partout dans les Baronnies provençales le territoire est marqué par l’occitan. Telle une trace indéniable, les lieux écrivent leur histoire que la toponymie occitane dévoile volontiers. Elle parle d’un monde très concret auquel ses habitants ont dû se confronter. L’occitan se repère volontiers dans ces noms de lieux qui évoquent la nature des sols, le couvert végétal, la forme des rochers, la vie des eaux courantes ou stagnantes ou l’élevage. Paul Peyre, pour le Ventoux voisin ou André Faure pour les Hautes-Alpes, nous invitent à les découvrir dans leurs ouvrages respectifs. Marqueur du territoire, l’occitan est indéniablement un passeur de géographie, que le Parc des Baronnies provençales avait d’ailleurs permis de valoriser grâce à un travail d’enquêtes participatives sur la toponymie.
Certaines institutions, souvent des associations culturelles, ou des passionnés comme Anne, permettent de redonner goût et vie à l’occitan en redonnant à la langue des possibilités de faire écho au quotidien. Ici on intervient quelques heures pour sensibiliser, ailleurs on voit s’ouvrir des Calandreta, ces écoles tout en provençal comme à Valréas où on accueille des enfants de 3 à 6 ans en immersion dans une classe unique de maternelle. Rapidement bilingues, les enfants s’ouvrent aux langues romanes grâce à l’enseignante, Elodie Coudert, qui leur parle provençal en continu. Les pitchouns (“pichons [petits]”) répondent spontanément par des mots que le visiteur moins aguerri peine à comprendre. Les enfants de la Calendreta viennent de tous les horizons et de toutes les régions, une démarche qui souligne le fait que l’occitan est une langue qui appartient à tous et qui est indéniablement tournée vers demain.