La loi EGalim[1] entrée en vigueur depuis le 1er janvier 2022, vise à favoriser une alimentation saine et durable, tout en encourageant les relations commerciales entre le secteur agricole et la restauration collective. Ainsi, au premier rang des concernés, les cantines scolaires ont fait leur rentrée avec l’obligation de proposer au menu 50 % de produits de qualité dont au moins 20 % de produits issus de l’agriculture biologique et un plat végétarien par semaine[2]. Parce que cette évolution n’est pas toujours simple à mettre en place dans les assiettes, le Parc naturel régional des Baronnies provençales accompagne les cantines drômoises dans le cadre d’un projet de coopération à franchir ce pas décisif, et apporte la plus-value de son réseau pour créer du lien entre les cantines et les producteurs locaux[3].
Depuis 2021, dix cantines ont été accompagnées par le PNRBP[4]. En 2022-2023, cinq nouvelles cantines bénéficieront d’un accompagnement et d’une mise en lien avec les producteurs locaux. Depuis l’année dernière, grâce à ce projet, la cantinière de l’école du Pradou à Taulignan, par le biais des élus, de la chambre d’agriculture et du PNRBP, a pu rencontrer et solliciter Felix Biolley, un jeune maraîcher installé à deux pas de l’école depuis deux ans. Après une première année à mettre en place son installation en janvier 2021, les paniers de légumes ont commencé à se remplir dès le mois d’août de la même année. Le maraîchage est une pratique nouvelle sur ce terrain qui était voué il y a encore quelques années à devenir un site industriel. Au bord de la Chalerne[5], ce terroir argilo-calcaire qui longe le petit cours d’eau, accueille dorénavant une microferme en agroforesterie qui offre une vue imprenable sur la Lance.
Félix Biolley, 29 ans, est un jeune paysan aux convictions fortes. Convaincu des bienfaits de l’agriculture biologique, il bénéficie d’un champ de chênes truffiers plantés par son père quelques années plus tôt, et a pu planter à leurs pieds poireaux, haricots, courges et potirons… Sous la serre, les semis sont ordonnés au millimètre, et il met un point d’honneur à les réaliser lui-même, toute une philosophie pour le jeune paysan qui apprend chaque jour en suivant les expérimentations de la Ferme de Cagnolle en Dordogne, et dévore les ouvrages de Jean-Martin Fortier. Hors de question à ce jour d’acheter des plants, Félix sème, observe et admire la moindre pousse : « Ce n’est pas parce qu’on est en bio, qu’on ne doit pas être organisé ! » déclare-t-il. Et tant pis s’il commet quelques erreurs de jeunesse… Car pour planter, il faut savoir aussi… se planter. Loin d’une logique de rendement absolu, il sait qu’il ne pourra nourrir le tout Taulignan, mais il parvient à satisfaire les demandes de l’AMAP du village et de quelques épiceries alentour. Pour l’instant, Félix préfère voir petit, produire ce qu’il peut, à son échelle, pourvu que la qualité soit là et que son sol soit vivant. Il ne pratique aucun labour et fait un apport de compost biologique en surface, un couvert végétal qui lui suffit à produire la biomasse qui lui permet de laisser en paix les vers de terre qui font bien leur travail. La terre est aérée par leur présence, et l’eau parvient jusqu’aux plantations grâce au système racinaire des chênes truffiers qui l’acheminent vers la surface.
Sa microferme et son faible rendement lui imposent d’avoir un planning très serré et de multiplier les cultures pour garder une forme de rentabilité. Ainsi régulièrement la cantinière de Taulignan l’appelle et lui commande ce qu’elle peut, en fonction de ce qu’il a. Pas facile pour Félix de pouvoir contenter la demande pour 30 à 40 enfants, mais Delphine a à sa disposition des solutions de repli[6], même si se fournir localement reste un défi. Si le territoire des Baronnies provençales avec ses 12 habitants au km2 est une zone de cultures, la production n’est pas pour autant nourricière, les vignobles et les plantes aromatiques ne faisant pas l’affaire de la restauration collective. Des formations ou des accompagnements sur mesure, permettent aux cantiniers de connaître les réseaux de distribution, ceux qui ont rejoint le projet d’accompagnement du parc et ceux qui s’apprêtent à le rejoindre, disposent d’un accès facilité aux petites productions biologiques, et aux producteurs répondant aux critères des Signes Officiels de Qualités et d’Origine. Les bases de données du Parc croisent alors celles de la chambre d’agriculture, les enquêtes de terrain permettent aux uns et aux autres de se rencontrer. À Taulignan par exemple, si Félix Biolley a pu grandir et manger dans cette cantine lorsqu’il était enfant, profitant à l’époque des repas concoctés par Delphine, il ne lui était pas venu à l’esprit qu’il pouvait entrer en contact avec l’école pour démarrer son activité. Le lien entre les élus, la chambre d’agriculture et le Parc a permis de croiser les informations et de créer du lien entre les acteurs, qui pourraient devenir pérennes.
Les expérimentations pourraient aller plus loin, et ailleurs dans le département de la Drôme on réfléchit à comment mettre à profit les réseaux d’approvisionnement d’une AMAP pour livrer de la viande de bœuf à une cantine. Les idées ne manquent pour faire évoluer les pratiques, même si la question du local change selon les territoires et leurs superficies. Du côté des cantines, le projet vise aussi à permettre aux professionnels de profiter de temps d’échanges entre pairs lors desquels chacun est invité à découvrir de nouvelles recettes végétariennes par exemple, ou encore à découvrir l’art de cuisiner les légumineuses en économisant l’énergie – véritables questions d’actualité. Un temps collectif de présentation de la démarche complète est prévu le 12 octobre, et permettra de réunir élus et acteurs.
[1] https://www.mealcanteen.fr/loi-egalim/
[2] 50% de produits de qualité (donc avec des SIQO https://www.helpevia.fr/actualites/les-mesures-de-la-loi-egalim-en-restauration-collective.html liste exhaustive : AB, AOP, AOC, IGP, STG, Pêche durable, HVE3 (produits issus d’une exploitation à Haute Valeur Environnementale ou de Certification Environnementale de niveau 2 (CE2)), quelques produits fermiers, RUP (produits issus de Régions Ultrapériphériques soit les départements d’Outre-mer)
[3] Du côté des Hautes-Alpes, c’est la Communauté de communes Buëch-Devoluy qui est en charge du projet sur le territoire du PNRBP.
[4] Mollans-sur-Ouvèze, Rosans, Saint-Sauveur-Gouvernet, Sainte-Jalle, Taulignan, Mirabel-aux-Baronnies, Sahune, Saint-Auban-sur-l’Ouvèze, Séderon puis Venterol
[5] affluent du Lez
[6] Les cantines ont la possibilité de se fournir sur des plateformes qui les mettent en lien avec des centrales d’achats