Clovis Deschamps-Prince est un artiste contemporain invité pour un temps de création et de médiation sur le territoire des Baronnies provençales. La résidence de création, financée par la DRAC PACA, lui permet de travailler sur une approche poétique et sensible du territoire, en lui permettant d’observer un des éléments vitaux qui court et façonne les paysages de notre territoire : l’eau . Parcourant les rivières, les canaux d’irrigation, ou les plans d’eau, il a d’abord pris du temps pour comprendre ce que les experts en gestion directe (presidents d’ASA ou maires de communes) lui montraient. Avec le Parc des Baronnies provençales et pour quelques jours encore, il invite les habitants à poser leur regard et leur sensibilité le long des berges, en proposant à travers des techniques simples et accessibles, de décrire la rypisylve, les rivières ou les infrastuctures qui composent ces paysages.
Pourquoi le choix de cet élément ? Lors du comité syndical en janvier 2022, la Charte du Parc datant de 2015 a été questionnée, et a permis de constater que la feuille de route concernant la préservation de la ressource en eau et visant à son partage durable devait être revue sous l’angle des changements globaux actuels. Le Parc, contrée de tourisme, est aussi un territoire agricole indéniable. Les pratiques des uns se croisent avec celles des autres autour de ce bien commun dont il faut dorénavant penser un usage solidaire et équitable. Les rivières sont indéniablement des lieux prisés par les touristes pendant l’été, et en parallèle, les agriculteurs cherchent des solutions d’irrigation adaptées à leurs cultures. Comment penser des usages partagés et servant à tous, quand une tension de plus en plus palpable se fait sentir sur la ressource à toutes les échelles et sur toutes les régions de la planète ?
Face à ce type de questionnements, l’artiste se veut un passeur, un pont reliant les rives des usagers, permettant de prendre de la distance sur les nombreux chemins de l’eau . La création artistique devient un outil qui permet de révéler des enjeux de territoire, et qui a pour avantage de laisser possible l’expression de tous. Les œuvres et la création deviennent un véritable instrument au service des citoyens. Les artistes s’imposent tels les maillons d’une chaîne du développement, et peuvent créer du lien social entre le territoire et ses résidents. Présent en amont d’un processus plus long, les recherches artistiques de Clovis viennent faire écho à celles, scientifiques, de Marguerite Ollivon, chercheuse en géographie humaine, accueillie en doctorat au sein du Parc des Baronnies provençales. Elle mène depuis 2022 et jusqu’en 2025, un travail au long cours, ayant pour but de décrire les différents usages de l’eau en allant à la rencontre des pratiquants de cette ressource. Sa thèse sera à terme un socle pour envisager une vision plus fondée pour le Parc sur les enjeux pressentis et les actions à mener à l’avenir sur le territoire. Menant des entretiens renouvelés sur trois ans, l’enquête permettra à terme une observation minutieuse et documentée. Actuellement au stade des hypothèses, Marguerite rencontre habitants, agriculteurs, vacanciers, maires et communes. Ces entrevues donneront naissance prochainement à une cartographie précise sur les trois intercommunalités, et les cinq bassins versants du Parc.
Que les outils et méthodes d’observation soient sensibles ou scientifiques, les éléments révélés sont nécessairement liés aux caractéristiques géologiques, géographiques ou climatiques du territoire. On lit déjà dans les premières recherches artistiques de Clovis l’identité et les spécificités qui façonnent le terrain investi. Après plusieurs jours d’observation, l’artiste a réalisé une première œuvre : une installation textile reprenant le format d’une carte IGN. Le paysage se retrouve transposé dans un patchwork aux nuances de terres et de végétaux mêlés à l’eau, venant révéler la part subjective des Hautes-Alpes. L’installation finale prend la forme d’une cabane protectrice tendue à l’aide de branches dont la confection reflète le caractère éphémère et fragile des milieux observés. Lors du Grand pique-nique organisé par le Parc à Verclause le 14 octobre 2023, Clovis Deschamps-Prince a pu inviter les habitants à une lecture sensible du paysage, suggérant aux participants de prendre place au bord de l’eau, et d’y observer la ripisylve. Offrant à chacun une courte phrase imaginée pour l’occasion ou extraite de ses lectures, Clovis a ensuite proposé d’entamer un dessin sur un petit carnet. S’en est suivi un partage des créations, et une lecture d’un essai de Léa Rivière, L’odeur des pierres mouillée. Ces quelques phrases simplement lues par l’artiste sont venus clôturer poétiquement ce moment hors du temps, laissant l’opportunité à chacun d’observer un peu plus le passage de l’eau dans la roche qui conduit l’Eygues sous le pont du village, et peut-être de se laisser surprendre par quelques poissons bondissant, d’écouter le clapotis de l’eau que les galets viennent rythmer, ou d’humer l’automne naissant. Des moments précieux, qu’il est bon d’expérimenter pour reprendre racine.