En ces temps de « guerre », aussi invisible soit-elle, et si c’est ainsi qu’elle doit être nommée, d’aucuns rêvent de prendre le maquis, d’aller marcher en forêt pour sortir de deux mois de réclusion dans nos quotidiens parfois étroits. Cette expression, « prendre le maquis », aussi légère puisse-t-elle paraître remise dans un contexte actuel, recouvrait bien d’autres contours pendant la Seconde Guerre Mondiale. Certains lieux des Baronnies provençales évoquent le souvenir de jeunes maquisards, qui profitaient d’un vaste territoire majoritairement inhabité. Si les lieux sont moins emblématiques que ceux du Vercors, ils restent encore chargés de souvenirs, d’histoire, d’objets de transmission et de rencontre.
Les maquis, qui étaient une forme bien particulière que pris la Résistance à partir de lafin de l’année 1942 étaient constitués de jeunes qui se retrouvaient dans des lieux à l’écart. Souvent recherchés par la Milice ou la Gestapo, ils se regroupaient dans des fermes, des bergeries, des villages abandonnés, et même dans des cabanes dans les bois. Les jeunes hommes s’entraînaient aux armes et l’organisation interne pouvait prendre des airs militaires (salut au drapeau, défilé, chant de l’hymne…). Des postes de garde assuraient la sécurité du groupe, et chacun se devait d’être discret. Ainsi leur était-il impossible de correspondre avec les familles (sauf mise en place exceptionnelle de services de courrier à une adresse fictive), ce qui laisse à ce jour peu de traces pour écrire leur histoire.
Au sein du Parc naturel régional des Baronnies provençales, plusieurs lieux, symboliques ou anodins, restent les témoins silencieux de l’histoire du Maquis Morvan (un réseau de résistants du pays Serrois). En 2017 fut inauguré, à l’initiative de l’Association Pour la Mémoire de la Résistance dans les Hautes-Baronnies, le sentier de la Liberté Laurent Pascal à Eygalayes, un chemin de mémoire qui retrace la course folle jusqu’à Ballons d’un des derniers survivants de la fusillade de la ferme Monteau le 22 février 1944. Depuis Ballons, démarre le sentier Abbé Roux pour rejoindre la Nécropole Nationale d’Eygalayes, qui regroupe 17 tombes des 35 maquisards fusillés le même jour. A moins d’une dizaine de kilomètres à vol d’oiseau, le vieux village de Saint Cyrice est également un témoin de cette époque dont les paroles d’anciens maquisards laissent entrevoir le quotidien d’alors : «Saint Cyrice, accroché à sa butte, protégé par la montagne au Nord, offrait un beau point de vue sur la vallée. Pour y parvenir, la côte étaitraide, et en cette veille de Noël, il faisait un froid de canard. Mais là-haut, la chaleur et l’amitié
régnaient. (…) Un jour de Janvier 1944, il leur fallut quitter le village.
Les Allemands connaissaient l’existence de ce maquis. Il fallait donc s’attendre à une attaque. Celle-ci se produisit quelques jours plus tard. Saint Cyrice fut incendiée par les soldats. Pour une fois, seules les maisons furent détruites. Les hommes prévenus avaient pu évacuer le village, et abrités dans une autre montagne, non loin de là, voir brûler ce qui, un soir de Noël, avait remplacé leur foyer*». Le Parc, qui accompagne la commune pour la restauration de l’église de Saint-Cyrice, entend aussi évoquer ce pan de l’histoire de ce vieux village. Le village de Montclus fut également le théâtre d’une importante bataille le 19 juin 1944.
Chaque année, une cérémonie commémorative y célèbre, en mémoire des hommes du maquis Morvan qui y menèrent un combat contre la Wehrmacht. Dans les gorges, les maquisards se mirent en embuscade sur les crêtes, laissèrent les allemands s’y engager, puis jetèrent leurs « gamons », des pains de plastiques qui explosaient en tombant. Les Allemands perdirent de nombreux soldats, et se vengèrent : le 21 juin, le village de Montclus fut incendié sur ordre d’un officier allemand.
A l’extrême Ouest du Parc naturel régional des Baronnies Provençales, la montagne de la Lance est également un lieu de mémoire de la résistance maquisarde. Chaque été, le 15 août, une
cérémonie du souvenir se tient sur la montagne, là où la bergerie Buffet, à 850 m d’altitude, permit l’accueil de maquisards en transit à partir de 1943. La bergerie faisait office de logement pour deux ou trois nuits, les maquisards venaient de Condorcet et faisaient étape avant de se rendre dans le Vercors. Le 15 août marque la date symbolique du débarquement de Provence (en 1944), mais c’est aussi un 15 août que furent dispersées les cendres de l’un des derniers témoins de l’époque, André Monier.
Si l’histoire des maquis dessine le souvenir d’une période dramatique pour nos aïeux, elle témoigne aussi de l’élan de solidarité qui se crée lors des épisodes les plus ténébreux : « Lors de la libération de la vallée, les maquisards laissent éclater leur joie. Mais l’événement est aussi le signe de la fin de cette expérience de vie hors du commun : « Une sorte de tristesse succéda à l’euphorie. Notre communauté de gens de milieux divers allait se dissoudre. Une camaraderie franche devant le péril avait effacé les barrières sociales. Tous se rendent compte qu’il va falloir redevenir ceci, cela, après avoir été tout simplement des hommes ».*
* Maquis et Bataillons Morvan, Editions du Buëch, p43-44
* Résistants dans le pays du Buëch, L. Terrasson-Duvernon cité par Jean-Pierre Pellegrin
p120