Légende racontée jadis dans la vallée de l’Ennuye et dans le pays de Buis-les-Baronnies.
« Il y avait, au col de Peyruergue, une auberge sanglante, comme à Peyrebelle. Quand arrivait un client qu’on pouvait trouver, ma foi, plutôt gras, on le tuait et on le faisait manger à d’autres. Aussi le bruit courait qu’on y faisait de bons gigots…
Voici ce qui se passa, il y a plus de deux-cents ans de cela. D’après certains dires, un jour un homme passa de bon matin et dit au patron :
– « Faudrià me bailear mon repàs pèr miegjorn. E coma sarai a Santa-Jalla, e bè manjarai a Santa-Jalla ».
« Faudra me livrer mon repas pour midi. Et comme je serai à Sainte-Jalle, eh ben je mangerai à Sainte-Jalle. »
On lui livra son repas dans une espèce de casserole, où il vit… des ongles humains !
– « O ! Diguèt, mai d’onglas es pas sovent que… lei lapins an d’onglas coma aquò ! »
« Oh ! Dit-il, c’est pas souvent que les lapins ils ont des ongles comme ça ! « .
Sur ce, il alla chercher les gendarmes et leur dit :
« – Regardez ce que je viens de trouver !
– Mais qui vous a livré ça ?
– Eh ben, c’est l’auberge de Peyruergue ! ».
Alors ils y allèrent et découvrirent que l’aubergiste servait à manger ceux qu’il avait tués. Voilà la vérité vraie… Tout le reste n’est que contes qu’on brode à ce sujet. »
Adapté d’un récit de veillée en occitan, rapporté par Aimé Buix, et publié par Guy Mathieu en 1977 dans les Contes d’un trieur d’amandes, « Les Alpes de Lumière » no 76, Gap, 1983.
Cette légende est par ailleurs déjà évoquée par André Lacroix au XIXe siècle dans son Histoire de l’arrondissement de Nyons. Il semblerait que ce soit une transcription locale de la fameuse affaire criminelle ayant eu lieu dans les années 1830 à Peyrebelle en Ardèche, le nom de Peyruergue lui ressemblant, tandis qu’il n’y a vraisemblablement jamais eu d’auberge sur ce col des Baronnies provençales, mais plutôt un péage.