L’arbre que cache la forêt

Rares sont les vieilles forêts au sein du Parc naturel régional des Baronnies provençales, et pourtant quelques vieux arbres subsistent au milieu des plantations de pins noirs d’Autriche. Les hêtres ou les chênes, véritables alliés de la biodiversité, participent à créer des trames vertes qui invitent la faune à se déplacer d’un milieu à un autre, sans barrière, à y trouver refuge, et à s’y reproduire. Si rares sont les communes ou les propriétaires privés de forêts à avoir fait le choix de laisser les arbres vivre plusieurs siècles et évoluer librement, certaines associations s’avèrent des relais cruciaux pour une gestion raisonnée. Rencontre avec Lionel Quelin du Conservatoire d’Espaces Naturels de Provence-Alpes-Côte d’Azur, qui nous invite à découvrir les forêts de Ribiers et leurs spécificités.

Située à l’extrême Nord du massif forestier de Sisteron, la forêt que le naturaliste nous invite à découvrir se trouve à l’ubac de la montagne de… l’Ubac, sous le majestueux rocher de Pierre Impie. Ici, on peut lire les strates de l’histoire du Parc naturel régional des Baronnies provençales, en imaginer son passé agricole avant de devenir sylvicole. Des pins noirs y ont été plantés de façon géométrique. Aucune hésitation à y lire l’intervention de l’homme tant leur organisation s’avère monomaniaque ! Un peu plus loin, des chênes aux trognes singuliers, communément appelés chênes-têtards, nous invitent à revivre l’ère sylvo-pastorale. La biodiversité qui découlait de cette pratique était une assurance vie pour nombre d’espèces. Les troupeaux paissaient paisiblement sous les chênes, profitant de leur ombrage tout en se nourrissant des glands ou du fourrage issu de l’émondage. Cette taille permettait d’ailleurs un cercle vertueux sans devoir attendre que la forêt vieillisse et propose des cavités naturelles à force de branches cassées ou de troncs creusés. En plus de l’élevage qui bénéficiait directement de la coupe, les cicatrices des branches permettaient des bourrelets généreux, et des cavités propices à l’accueil des insectes, des larves de pique-prunes ou de cétoines, utiles au compost.  Aujourd’hui, ces petites bêtes trouvent leur place dans les chandelles, se chargeant volontiers de décomposer ces troncs sans branche. Car des bois morts ne le sont jamais vraiment, la vie multiple qu’ils peuvent abriter en fait des alliés de taille. Les cavités, et les chandelles sont de véritables hôtels de luxe pour toute une faune, représentant près de 30 % de la biodiversité présente dans les forêts !

Si les pins noirs arrivent facilement à évoluer sur des sols tels que ceux des Alpes et de la Méditerranée, ils restent encore trop jeunes pour offrir des cavités et devenir des hôtes de marque.

Nous avons tous pu lire ou entendre parler de ce best-seller « La vie secrète des arbres », de Peter Wohlleben. Ainsi les arbres communiqueraient-ils entre eux ! Quel être social resterait indifférent à la vue, et aux vibrations d’une machine pour laquelle quelques secondes suffisent à faire disparaître des siècles d’une histoire universelle, même si elle est silencieuse ? Les vieux arbres font incontestablement partie du patrimoine commun et disposent d’un réseau de racines capable en outre de capter le carbone. Sans forêt, le réchauffement climatique aurait de beaux jours devant lui… La coupe d’un arbre produit un stress énorme dans le milieu. L’humus se minéralise, les sols se dessèchent. Le CEN vise ainsi à maintenir localement les milieux en bonne santé et fait en sorte qu’ils aient suffisamment de résilience. Pour ce faire, le projet de l’association (et de la Fondation des Conservatoires d’Espaces naturels) vise également à acquérir du foncier pour permettre un boisement en libre évolution, sans intervention humaine.

Lionel Quelin, responsable du pôle des Hautes-Alpes et des Alpes de Haute Provence au Conservatoire d’Espaces naturels a pour mission de sensibiliser, informer et accompagner les propriétaires de forêts pour qu’ils intègrent la biodiversité dans leurs usages. Ainsi réfléchit-il actuellement avec le Parc naturel régional des Baronnies provençales, à un projet de mise en réseau des communes et des propriétaires privés de forêts, dans le but de créer une réserve naturelle au sein du Parc, côté Provence-Alpes-Côte d’Azur. Lionel Quelin, qui n’en est pas à son coup d’essai avec 20 ans d’action au sein du CEN, connaît bien les partenaires qui pourront rendre viable chacun des projets que l’association initie.

Souvent sensible aux questions naturalistes, cet amoureux de la nature sait que les habitants sont aussi des acteurs-clés à considérer dans la mise en place des études et dans la réalisation des projets. Ainsi en a-t-il fait le constat avec le projet d’Atlas de la Biodiversité Communale (ABC) à Val-Buëch Méouge et Éourres. Initié par l’Office Français de la Biodiversité, le projet permet de mieux connaître la faune et la flore présente dans les vieux boisements (terrains de jeu choisi pour l’occasion avec les milieux ouverts) et d’identifier les enjeux spécifiques qui y sont liés. L’outil permet ensuite de sensibiliser et de mobiliser les élus, les acteurs socio-économiques et les citoyens à sa préservation.

Les observations que chacun a pu réaliser dans les différents milieux sont des informations essentielles qui peuvent avoir un intérêt scientifique. C’est alors, grâce au croisement des regards, amateurs et experts, qu’on a pu constater que parmi les espèces de papillons de jour présentes en France (261 espèces), 138 ont été repérées sur la commune, ainsi que la moitié des espèces de libellules et demoiselles de France (soit 40) ! Alors que se mêlent à Val-Buëch Méouge paysages méditerranéens et alpins, des espèces spécifiques à ces deux types d’environnements évoluent harmonieusement, et s’adaptent. Ces informations, récoltées de manière participative, puis vérifiées scientifiquement ont ensuite été transmises au Museum d’histoire naturelle de Paris pour rejoindre une banque d’information accessible à tous. La récolte des données a également donné lieu à l’édition d’un ouvrage confié à tous les habitants de la commune lors de la distribution du bulletin municipal. Ce carnet, très documenté tout en restant grand public, est un outil ludique qui deviendra vite indispensable aux animateurs nature de Provence-Alpes-Côte d’Azur et d’ailleurs.

 

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