En ce début du mois de mars, rendez-vous est pris dans la forêt domaniale de l’Eygues pour essayer d’en apprendre plus sur les habitudes d’un habitant discret de la forêt : la Chouette de Tengmalm. Dans cette forêt ancienne peuplée de hêtres et de sapins, c’est un site remarquable qui s’offre au promeneur, sous la silhouette imposante des barres rocheuses de la montagne de Raton. Ouvrons les yeux, et surtout, les oreilles, et observons la nature généreuse et les présents simples qu’elle nous offre à la tombée de la nuit, en ce soir de pleine lune.
C’est Sandrine Souvignet de l’Office National des Forêts qui accompagne Quentin Martinez, animateur Natura 2000 au Parc naturel régional des Baronnies provençales, pour cette première prospection au sein de la forêt de l’Eygues. Si le lieu choisi semble propice à l’observation de la chouette de Tengmalm déjà repérée dans les montagnes voisines du Vercors, nous permettra-t-elle de constater de sa présence ici ? La forêt domaniale de l’Eygues est une forêt ancienne. Ici, le sapin, espèce rare de nos paysages baronniards, est en mesure de prendre racine, laissant présager le massif voisin des Alpes à quelques envolées à peine.
La configuration de cette forêt, située sur un versant Nord, et sous les éboulis de la falaise qui la surplombe, offre une zone fraîche et humide, où la coupe de bois n’est pas possible. Les sapins et les hêtres d’une centaine d’années permettent aux pics noirs de creuser des cavités que la Chouette de Tengmalm peut ensuite s’approprier pour la nidification. Les troncs des vieux arbres deviennent de véritables immeubles à insectes, et sont le gage d’une forêt belle et bien vivante. Pas étonnant donc que la forêt Domaniale de l’Eygues soit incluse dans un site Natura 2000, offrant une large zone de protection de 12 500 hectares aux vautours, aigles royaux et oiseaux chanteurs !
Dans d’autres massifs montagneux, où la Chouette de Tengmalm est abondante et qu’il est intéressant de dénombrer les individus, les ornithologues mettent en place un protocole très codifié : sur une piste de deux kilomètres, plusieurs points sont définis, distancés de 500 mètres les uns des autres… La séance d’écoute du jour sera plus opportuniste : se placer sur un point judicieusement choisi, prendre le temps d’écouter, et avec un peu de chance, entendre une Chouette de Tengmalm, dont le chant peut porter à 2 kilomètres de distance. Deux règles sont reines : patience et silence. En quelques minutes à peine, les Pics noirs s’approchent et nous observent sans phare. Une bonne nouvelle pour l’équipe prospectant ici pour la première fois, car le Pic noir est l’allié absolu de la Chouette de Tengmalm (et de bien d’autres espèces d’ailleurs !). Puis d’autres, volatiles, viennent à leur tour chanter : mésanges, rouges-gorges, grives, merles… Une fois la nuit venue, c’est au tour des chouettes hulottes de se répondre d’un bout à l’autre de la forêt. L’ambiance nocturne, accompagnée de la pleine lune, provoque quelques sensations certaines à qui expérimente la prospection pour la première fois, à l’affut des yeux dorés de l’espèce convoitée ! Quentin Martinez repérera une dizaine d’espèces d’oiseaux en deux heures à peine, un chiffre qui laisserait penser que la forêt en question est un milieu de qualité et « chantant ». Cependant, la Chouette de Tengmalm nous laissera bredouilles pour cette fois ! Mais cet échec ne doit pas nous faire perdre espoir, car il se peut que le rapace se soit simplement fait discret ! Ce sont les multiples prospections à l’avenir qui permettront de s’en assurer.
L’altération des habitats forestiers constitue le principal risque pouvant mettre en péril les petits noyaux de population de Chouette de Tengmalm. S’il fallait encore le démontrer, la forêt Domaniale de l’Eygues est remarquable et d’intérêt patrimonial, avec de vieux arbres sur pieds et du bois mort, qui peut accueillir à lui seul 30 % de la biodiversité forestière. Aussi semble-t-il essentiel que l’ONF suive, aux côtés du Parc, l’évolution de la qualité des espaces forestiers et des espèces protégées qu’ils hébergent. La conservation des arbres à loges et à cavités est un enjeu de taille, et l’ONF veille en ce sens grâce à une gestion durable des forêts.