Drôles de vies de châteaux dans les Baronnies provençales – épisode 3

De l’oppidum gaulois au PC de commandement de tirs des missiles balistiques nucléaires de la force de frappe française, les Baronnies provençales ont connu bien des formes de fortifications ! Points de contrôle des axes de communication, lieu de villégiature, protection des populations, ils ont eu mille et une vocations, parfois mouvantes. Aujourd’hui, dans le meilleur des cas, ils constituent des lieux de visite et de découverte pour les habitants et les visiteurs. Coup de projecteur sur des lieux familiers pas si bien connus.

Un château pour demeure

Lors du recensement qu’effectuèrent Marie-Pierre Estienne, Michèle Bois ou Nathalie Nicolas pour leurs thèses respectives, elles trouvèrent nombre d’éléments d’habitat dans les tours et châteaux médiévaux qu’elles étudièrent. Ici, des placards, là, des déversoirs, des cheminées ou des latrines, trahissent un usage résidentiel. Des ouvertures aux étages indiquent un niveau d’habitation comme à Mollans-sur-L’Ouvèze, Rosans ou à Alençon (commune de Roche-Saint-Secret-Béconne), tout comme des traces de décor peint ou de fresque.

Mais ces traces sont rares, car elles devaient plus fréquemment se trouver dans des bâtiments annexes où salles nobles (aula), cuisines, chambres étaient dévolues à la vie quotidienne du seigneur ou de sa garnison.

Au fil du temps, le château devient maison, en même temps que certaines fonctions qu’ils assumaient sont abandonnées. La dernière garnison militaire dans les Baronnies provençales disparait avec le démantèlement du château de Mévouillon en 1685. Perdurent alors les châteaux qui peuvent être transformés. Tout au long du XVIe siècle, les seigneurs veillent à transformer leurs anciennes demeures féodales en château de plaisance. C’est le cas à Montbrun-les-Bains, à Nyons, à Sainte-Marie de Bruis et plus tard à Rosans ou à Rochebrune.

Quant aux autres châteaux qui ne peuvent être transformés, ils sont abandonnés et remplacés par de nouvelles demeures plus confortables. Parmi celles-ci, un des premiers châteaux est celui de Montjoux, reconstruit par Claude de Vesc dans les années 1490. On y perçoit déjà les influences de la Renaissance italienne. À Laragne-Montéglin, Gaspard de Perrinet, lieutenant du connétable de Lesdiguières, abandonne le vieux château d’Arzeliers et construit son château de style Louis XIII vers 1610. Les influences stylistiques se diffusent. Un nouveau personnage apparaît progressivement, l’architecte, qui est aussi maçon. Au début du XVIIe siècle, c’est Guillaume Le Moyne de Paris qui est l’architecte du château de Laragne ou « maître Auban Ravel, maître architecte de Sisteron » pour l’escalier du château de la famille d’Ize à Rosans. Les plus pragmatiques agrandissent une ferme pour lui donner, au cours des décennies suivantes, une apparence de château, comme à Monfroc.

À Bésignan ou à Novézan (commune de Venterol), de nouvelles demeures sont construites, au XVIIIe siècle, par des familles qui ont accédé récemment à la noblesse. Au moment de la Révolution, ces familles sont tellement associées au second ordre et à la réaction nobiliaire qu’ils sont détruits, alors même que les vieilles tours féodales ne sont pas touchées.

Les Baronnies ne connaissent pas vraiment, au XIXe siècle, la construction de nouveaux châteaux, à l’exception notable du château d’Aulan, des thermes de Montbrun et du château de Rieuchaud à Buis-les-Baronnies, tous construits par la famille de Suarez d’Aulan. Les familles bourgeoises de Nyons préfèrent en effet à l‘ostentation nobiliaire, la ferme assurance de la villa, qui reprend le modèle italien. Parfois, comme à Piégon, la famille Tardieu et Serre de Monteil, au quartier de Fontatières, agrandissent une ferme et parsèment leur jardin de quelques folies. Les ressources que procure le territoire ne sont peut-être plus suffisantes pour assurer aux rentiers les moyens de vivre noblement dans une demeure qui affirmerait leur statut. Peut-être que les campagnes des Baronnies provençales ne sont plus suffisamment attrayantes, ou trop éloignées des villes, pour que des citadins veuillent y bâtir des maisons de villégiature.

Le retour du refoulé ?

Le dernier avatar de cette histoire millénaire de château, la construction, en marge du plateau d’Albion et de ses aménagements militaires pour la force de frappe, d’un Poste de Commandement de tirs de missiles balistiques nucléaires, résonne donc comme une incongruité. Dans ce pays qui ne connait plus la guerre à ses frontières depuis le XIVe siècle (si on excepte l’épisode de 1692 et les guerres de Religion qui sont autre chose), on est venu le militariser à nouveau. Depuis 1996, et la fin des bases militaires, le territoire est retombé dans l’oubli. Il n’est plus qu’un terrain d’exercice de l’armée de l’air. Mais jusqu’à quand ?

Quels seront donc les châteaux du XXIe siècle ?

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